Beloola @ Boost VC — Les Draper, VCs de Grand-Père en Petit-Fils

On a eu la grande chance de participer à deux talks en moins d’une semaine avec William Henry Draper III puis avec son petit-fils Adam Draper, CEO de Boost VC. Ces noms-là ne vous disent rien ? Petite session de rattrapage ci-dessous, puis on vous débriefe.

Le VC West Coast créé par les Draper

William Henry Draper Jr.

Le Venture Capitalism est une affaire de famille chez les Draper. William Henry Draper Jr., né le 10 Août 1894 à Harlem et mort le 26 décembre 1974, a fondé Draper, Gaither & Anderson, soit tout simplement le premier fonds de capital-risque de la côte Ouest. Son fils William Henry Draper III né le 15 janvier 1928 à White Plains, NY a rejoint l’aventure à la création du VC en 1959 à Palo Alto, CA avant de fonder sa propre affaire Draper & Johnson Investment Company en 1962 en compagnie de Pitch Johnson qu’il avait cotoyé lorsqu’il travaillait de 1954 à 1959 pour le sidérurgiste de Chicago The Inland Steel Company, puis de fonder Sutter Hill Ventures en 1965, VC de référence toujours dans le game. A noter que William Henry Draper III est passé par Harvard et fut l’élève de Georges Doriot, considéré comme le père du venture capitalism. L’éminent Doriot était comme son nom l’indique un émigré Français. Voilà, ça c’était pour votre petite dose de chauvinisme. Take that ‘Murica!

Bill Draper, VC depuis 1959, témoigne

William Henry Draper III

William Henry Draper III

Ca fait donc 56 ans que William Henry Draper III aka Bill Draper est dans le business. Une légende.

Il est 15 heures en ce mercredi après-midi, Bill ne s’est pas encore installé sur scène qu’il a déjà gratifié l’audience de quelques calembours. Son petit-fils Adam s’installe à ses côtés, et les deux commencent à s’adonner à un jeu de question-réponses devant un public particulièrement attentif.

Bill nous raconte l’histoire de sa longue et brillante carrière. Il nous explique que la dynamique du venture capitalism West Coast a été insufflée par l’Université de Stanford et plus particulièrement Frederick Terman, jadis à la tête du département d’ingénierie du campus. L’idée était d’aider les ingénieurs et chercheurs de Standford à mettre leurs innovations au service du business et donc de soutenir les technologies émergentes. Du bon sens certes, mais le concept était alors totalement nouveau.

Prise de recul sur une cinquantaine d’années de venture capitalism

Une bonne cinquantaine d’années plus tard, la Californie et particulièrement la Silicon Valley en furent transformées, et la politique de l’Université de Stanford a sans aucun doute été à l’origine de cette fascinante mutation.

Mais pourquoi Stanford et pas l’une de ces prestigieuses universités de la Côte Est telles que le MIT de Boston ? Question de culture selon Bill, lui-même originaire de New-York. Le Grand Ouest californien est une terre de pionniers, et la culture du risque est inhérente à la Californie depuis 1848 et la ruée vers l’or.

Le boom économique de la Californie a probablement été sans précédent dans l’existence de l’humanité, mais Bill est conscient que les choses ont beaucoup changé ces dernières années : l’industrie est aujourd’hui innondée de cash et est en proie à la spéculation (coucou Goldman Sachs), et également beaucoup plus compétitive ; les VCs ont désormais plutôt tendance à investir en “later stage” et les retours sur investissement ont beaucoup baissé. A l’époque, un VC pouvait mettre quelques centaines de milliers de dollars dans une jeune entreprise et avoir un retour sur investissement de plusieurs centaines de millions en quelques mois, à la cool.

Bill nous a d’ailleurs raconté une riche anecdote. Après avoir backé le projet de deux jeunes talentueux ingénieurs en informatique en investissant une bouchée de pain, Sutter Hill Ventures a par la suite réalisé une belle opération en permettant aux jeunes entrepreneurs un exit à trois millions de dollars chez les Rockefeller, la grande famille d’entrepreneurs de la Côte Est. Quelques mois plus tard, ces mêmes Rockefeller sollicitent à leur tour Sutter Hill pour leur proposer de participer à un nouveau tour de table, mais Bill décline car son assitant s’étant déplacé à New-York pour rencontrer ses homologues de chez Rockefeller les avaient trouvés “trop prétentieux” et que la valorisation de l’entreprise était désormais trop élevée. Grave erreur : Rockefeller voulait en réalité remercier Sutter Hill de leur avoir apporté l’un des meilleurs deals que vous puissiez imaginer dans l’industrie tech. De quelle entreprise s’agissait-il ? Je vous le donne en mille : Apple. Comme quoi, même les meilleurs peuvent se tromper.

Steve & Steve quelque part dan les seventies

Steve & Steve quelque part dan les seventies

Bill Draper, parmi les premiers à investir en Asie

1994, le fin stratège flaire les belles opportunités en Inde et particulièrement à Bangalore, mais pas mal de pontes le prennent à l’époque pour un fou furieux. Mais Bill a un jour rencontré cette femme qui a totalement adoré son idée, et il l’a directement embauchée “on breakfast”. Après avoir investi 75 millions de dollars dans plusieurs entreprises hi-tech indiennes, le retour sur investissement au terme de six ans fut seize fois l’équivalent de la somme initiale. Ce qui fait beaucoup de sous-sous.

Mais l’an 2000, c’est également l’explosion de la bulle financière. Ca tombe bien, l’associéE avec un grand E de Bill Draper avait déjà revendu tout le portfolio d’entreprises juste à temps contre l’avis de pas mal d’experts à l’époque. Cette femme — dont Bill ne nous a pas révélé le nom —l’ a semble-t-il profondément marqué. J’en reparlerai un petit peu plus bas.

La success story de Skype

Draper est également allé voir ce qui se passait en Europe, et plus précisément en Estonie. En gros, il a mis dans Skype au début des années 2000. Retour sur investissement : x 1000. BOSS.

Comment ça s’est passé ? A l’époque il existait un truc qui s’appelait Kazaa, le truc que vous avez peut-être utilisé pour télécharger illégalement des .mp3 en peer-to-peer. Kazaa a eu des problèmes, mais Bill et son fils Tim avaient clairement repéré le potentiel des fondateurs et ont été à leur rencontre en Europe pour les aider à monter leur nouveau projet, aujourd’hui devenu l’outil de call video le plus populaire au monde.

A propos, Tim Draper est également un mastodonte dans le milieu du Venture Capitalism. Fondateur de Draper University — où se trouve le dortoir dans lequel nous sommes actuellement hébergés durant le programme, son fonds DFJ a notamment investi dans plusieurs success stories ayant réalisé des exits à plus de $1 milliard de dollars dont Baidu, Skype, Tesla, ou encore Twitter. C’est du très lourd. Mais il ne nous a pas — encore — donné de conférence, donc je n’en parlerai pas ici.

Je ne vais pas m’éterniser plus longtemps sur la brillante carrière de Bill Draper. Si ça vous intéresse, je vous invite à lire son bouquin The Startup Game.

“Je suis une légende”. Dans le sens d’une aiguille d’une montre en commençant par la gauche : Bill & Jean-Paull II, Bill & Ronald Reagan, Bill & Barack Obama, Bill & Fidel Castro, Bill & Bill (Clinton celui-ci). Credits: iStockPhoto / Fastcompany

Conseils du sage pour les startupers

Au tour de l’assemblée à poser des questions. Quelques conseils en vrac :

  • Portrait-robot des entrepreneurs qui réussissent : courageux, prennent des risques, intellectuellement brillants, issus des plus grandes universités, dévoués et concentrés à 1000% à leur business. Du bon sens ? Ok passons.
  • Le profil de la startup prometteuse : le produit est facile à présenter et répond à un réel besoin des consommateurs. Du bons sens toujours.
  • Formez une équipe versatile et composée d’individualités très différentes les unes des autres. Vos coéquipiers doivent être plus intelligents que vous et susciter votre admiration. Sentez-vous également à l’aise avec eux, comprenez-vous les uns les autres. Et surtout, ne formez pas votre team à la va-vite : “hire slow” (but “fire fast”). Les cerveaux font la richesse de votre entreprise, pas votre produit.
  • Votre dream team est composée d’au minimum 1 femme et 1 immigré. Ce truc doit raisonner fortement dans vos têtes. Regardez la Silicon Valley, regardez le monde des techs en général. Pour les immigrés ça va, les grandes tech companies n’hésitent pas à mettre le cash pour débaucher les meilleurs cerveaux du monde entier. Par contre pour l’égalité hommes — femmes… Faites des ratios. Vous avez compris. On n’y est pas. Mais alors pas du tout.
  • Votre board de premiers investisseurs doit également être versatile et bienveillant. Vos investisseurs doivent devenir vos partenaires, impliquez-les dans la stratégie de votre entreprise. Organisez des meetings mensuels, tenez-les à jour — surtout si vous devez leur annoncer des catastrophes, demandez-leur des conseils et ne vous contentez pas seulement des les débriefer, faites en sorte qu’ils comprennent pleinement votre business et votre vision d’entreprise. Privilégiez un board réduit au départ, idéalement 5 personnes. Idem que pour vos collègues, triez-les sur le carreau. Il est très difficile de s’en séparer en cas de mauvais casting.
  • Avant d’approcher vos premiers VCs, vous devez avoir une idée exacte decombien vous souhaitez lever. Cette somme doit correspondre à vos réels besoins que vous aurez su quantifier au préalable : ayez donc un business plan solide car les VCs risquent de vous challenger pour voir si vous maîtrisez le truc. Bill estime que les “VCs sophistiqués” sont beaucoup plus recommandables que les business angels, pour la simple et bonne raison qu’ils sont plus impliqués dans le suivi stratégique. Lorsque vous approchez vos premiers VCs, ne bombardez pas à tire larigot et allez-y progressivement afin d’être en mesure de prendre un minimum de recul et modifier votre pitch et votre stratégie au fur et à mesure — ne commencez donc pas forcément avec votre top list de VCs. Enfin, faites toujours en sorte de mettre en valeur l’équipe de badass qui compose votre entreprise. Encore une fois, vos cerveaux font votre valeur ajoutée, pas votre produit — d’autres personnes ont sûrement déjà eu la même idée que vous.
  • Ne cramez pas votre pognon. Levez suffisamment de fonds pour tenir sur la longueur, ne vous retrouvez pas dans une situation où vous êtes constamment en mode “fund raising”. Si tel est le cas, c’est peut-être que quelque chose cloche avec votre business et vous devriez peut-être envisager un pivot.
  • L’explosion d’une bulle économique est dure à prévoir, même si on s’attend tous à avoir de mauvaises surprises à court-terme tant certaines startups sont sur-valorisées aujourd’hui. Bill Draper souligne d’ailleurs que les investisseurs de la Silicon Valley sont de plus en plus attirés par des startups à la valorisation plus raisonnable et à la croissance maîtrisée. Bon à savoir pour votre prochain tour de table 😉

Bonus track: Bill demande à son petit-fils si la Réalité Virtuelle va faire de l’argent et comment

J’adore ce meme

Cette conclusion était géniale. Bill a 87 ans et s’avoue un peu dépassé par cette industrie émergente, et sollicite donc son petit-fils avant de sonder l’enthousiasme de l’assemblée. Bill nous a demandé si nous étions plus enthousiastes aujourd’hui au bout de 6 semaines de programme qu’avant d’avoir intégré l’accélérateur. Le “OUI” fut unanime, et ça lui a fait chaud au coeur. Assez pour le convaincre que la VR était “the next big thing”.

Pour terminer, Bill Draper a eu sa première expérience de VR chez Boost VC, et c’est un Français qui a eu l’honneur de la lui offrir. Baptiste d’Unimersiv lui a fait découvrir son expérience éducative sur le Colisée de Rome. Bill a même crié lorsqu’un légionnaire romain s’est avancé vers lui pour lui asséner un coup de glaive. Immersion réussie donc.

Adam Draper, Founder & CEO de Boost VC, livre ses clefs de la levée de fonds

Adam (le petit-fils de Bill du coup) nous a consacré 1 heure pour nous donner ses petits tips concernant la stratégie de levée de fonds pour une startup early-stage. Brièvement :

  1. Lever des fonds, c’est dur et décourageant. Vous allez vous prendre des dizaines voire des centaines de refus. Il faut tenir bon.
  2. Appréhendez vos rendez-vous investisseurs comme si vous alliez rencontrer des gens géniaux. Faites en sorte qu’ils se souviennent de vous, car des jeunes entrepreneurs comme vous ils en voient tout le temps et tous les jours.
  3. Pitchez votre entreprise à tout le monde. Tout le temps. Non seulement c’est un bon entraînement, mais en plus vous n’êtes jamais à l’abri de rencontrer votre futur investisseur totalement par hasard.
  4. Vous n’avez pas de thune tant que les thunes ne sont pas sur votre compte en banque. Donc pas de plans sur la comète. Et veillez à avoir une trésorerie à 12–18 mois (conseil similaire à celui de son grand-père).
  5. Investors invest in lines, not dots”. Les investisseurs investissent sur une progression, pas sur des coups d’éclats. Soyez en mesure de prouver que votre progression est consolidée et tenez vos investisseurs à jour.
  6. Les investisseurs investissent dans : votre équipe, votre acquisition d’utilisateurs, ou votre hype. Pour réussir, votre startup doit généralement avoir au minimum deux de ces facteurs de succès. Il est cependant risqué de miser sur la hype, car le propre de la hype est d’être temporaire. Vous n’êtes pas à l’abri de vous faire lâcher par vos investisseurs du jour au lendemain une fois la hype retombée.
  7. Ayez un plan B. Peut-être que vous ne vendez pas le bon produit. Essayez de comprendre pourquoi, même si cela implique de reprendre depuis le début.

Envie de creuser ? Adam vous expliquera mieux que moi (cette présentation date du Hustle Con 2015, mais Adam nous a grosso modo donné la même) :

Questions — réponses (juste les réponses en fait)

  • Les premières levées de fonds sont capitales. Microsoft, Ebay et Veeva Systems n’ont levé à elle trois que $11 millions ; elles sont maintenant valorisées à $420 milliards de dollars à elles trois.
  • Il est important d’entamer sa stratégie de levée de fonds avec un listing d’investisseurs long comme le bras — bien qu’il soit nécessaire de cibler un minimum. L’idée est d’épurer au fur et à mesure afin de dresser progressivement une short list. Donc ne commencez pas avec les investisseurs que vous identifiez a priori comme ceux de votre top list.
  • Adam adapte continuellement le pitch de Boost VC. Un pitch peut toujours s’améliorer au fur et à mesure des feedbacks.
  • Les meilleures intros auprès de VCs sont celles effectuées par les fondateurs des entreprises dans lesquelles ils ont investi.
  • Certains posent leurs organes sur la table et vont au bluff. “Are you a leader or a follower?”. Tout le monde se connait et se parle dans le milieu des VCs, et il existe forcément quelques rivalités. Et ces gens-là aiment bien être les premiers. Vous pouvez jouer là-dessus.
  • Ne faites pas un premier tour de table trop important. Vous mettrez en danger votre entreprise si elle est trop valorisée. Un premier tour entre $3 et $6 millions semble optimal.
  • Demo Day est votre première intro auprès de 200 investisseurs. Tâchez de faire bonne impression. La seule chose que vous pouvez maîtriser : QUE VOS INVESTISSEURS COMPRENNENT VOTRE PRODUIT, TOUT DE SUITE. Votre pitch doit être clair, concis, impactant.

BONUS TRACK

Article très intéressant d’Adam Draper sur comment avoir un pitch deck qui déchire et lever plein de sous-sous : https://medium.com/boost-vc/5-rules-for-the-pitch-deck-d7c7bbc3185d

BONUS TRACK BIS

De gauche à droite : Tim, Billy, Bill, Adam et Jesse Draper. Ma famille en or.

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