Boost VC a beau en être à sa première promotion de startups spécialisées dans la Réalité Virtuelle, force est de constater que l’accélérateur possède déjà un solide réseau, en témoigne la qualité des différents intervenants semaine après semaine. Mardi dernier donc, nous avons eu l’immense privilège d’accueillir Ebbe Altberg, actuel CEO de Linden Lab (Second Life). On ne parle pas de Philip Rosedale le fondateur originel, mais de l’actuel dirigeant et architecte du futur de Second Life, aka project “Sansar”. Oui, nous étions au taquet comme jamais. On vous débriefe.
“I realized quickly that Yahoo! was…
…deepshit.” Ebbe est un personnage sympa et n’est pas avare de blagues et d’autodérision sur sa carrière. Sauf que vous rêveriez tous d’avoir le CV du Suédois d’origine : presque 12 ans en tant que Product Unit Manager chez un Microsoft à son apogée (il s’est notamment occupé de Word, Office, Mac Office…), 8 ans en tant que Chief Product Officer chez Ingenio Inc. de 2000 à 2008, presque 5 ans donc chez Yahoo! en tant que VP Head of Audience puis SVP Media Engineering, COO chez Branchout d’octobre 2012 à février 2014, puis CEO chez Linden Lab. On vous avait prévenus.
Second Life: 15 ans déjà.
Dans l’imaginaire collectif, Second Life c’est un peu le truc qui était super méga hype au milieu des années 2000 (vous vous souvenez de la campagne de Ségolène Royal aux élections présidentielles de 2007 ?), mais qui est désormais has-been…
Oui mais non. Alors certes le développement de Second Life a débuté il y a plus de 15 ans et la plateforme est sur le marché depuis plus de 12 ans déjà, toujours est-il que les mondes virtuels de Second Life attirent encore un total de plus de 900 000 utilisateurs actifs mensuels (le maximum a été atteint aux alentours de 2006/2007 avec un total de plus de 1.1 MAU — l’effet Ségolène Royal probablement). Second Life aurait généré un chiffre d’affaires d’environ 60 millions de dollars en 2014 et s’avère également être une marketplace très profitable pour certaines verticals, notamment pour la mode et l’éducation. Ebbe nous a raconté l’anecdote d’une utilisatrice ayant vendu plus de 300 000 exemplaires de sa robe virtuelle : les utilisateurs achètent donc des items virtuels, Beloola n’est pas à côté de la plaque. Cela semble logique après tout, Ebbe ayant pris soin de rappeler la notion “d’identités multiples” au sein de la plateforme : votre avatar ne va pas s’habiller de la même manière selon qu’il participe à une soirée en boite de nuit virtuelle ou à une réunion d’actionnaires. CQFD.
Next step: Project Sansar
Et voilà le sujet que tout le monde attendait : Project Sansar, le nouveau projet de social VR de Linden Lab. Nous avons eu le droit à un discours maîtrisé et Ebbe n’a pas forcément lâché de grosses exclus. Mais nous avons quand même appris certaines choses très intéressantes et surtout avons vite eu conscience que nous partagions pas mal de points communs concernant notre vision de la social VR ainsi que notre business model.
Premier enseignement : 35 à 40 salariés ont rejoint Linden Lab pour bosser sur Sansar depuis l’arrivée d’Ebbe à la tête du groupe. 70 salariés sont au total mobilisés sur Sansar. On ne parle donc pas d’une petite équipe.
Le pouvoir aux créateurs de contenus
Sansar sera-t-il en totale disruption avec Second Life ? Vraisemblablement non à en croire le CEO “in the spirit of Second Life but we’re going to make a lot of things differently”. L’user-generated content sera encore une fois au coeur du produit: “The (content)-creator is the primary customer”, le pouvoir sera donc une nouvelle fois donné aux créateurs de contenus et les clefs leur seront données afin qu’ils puissent animer leur communauté de la meilleure manière possible. Assez raccord avec notre vision de Beloola donc. Linden Lab veut cependant simplifier son interface réputée trop compliquée et mettre en avant la découverte de contenus : là aussi ça a fait “tilt”, car nous disposons d’une fonctionnalité similaire sur notre plateforme.
Optimiser la monétisation
Là encore, Linden Lab affirme sa volonté de vouloir simplifier son expérience utilisateur et permettre aux créateurs d’optimiser la monétisation de leurs contenus. Pour rappel, un utilisateur de Second Life peut actuellement créer un espace de 4000 m² maximum — ce qui devrait être sensiblement la même chose sur Sansar. Cela fait pas mal de surface disponible pour créer une marketplace très attractive — soit un quart de ton Auchan Englos quoi.
Petite phrase qui nous a mis la puce à l’oreille cependant, Linden Lab souhaite améliorer son système d’instances utilisateurs et “augmenter ses capacités en termes de capabilités / multiplicités” : en d’autres termes, il y a de fortes chances de voir apparaître des fonctionnalités permettant aux utilisateurs d’être propriétaires de multiples espaces, à la fois pour diversifier leur offre de contenus mais également pour être en mesure d’augmenter leurs audiences au sein de leurs espaces (d’où la réflexion sur les instances). On vous en dira un peu plus en ce qui concerne Beloola lorsque nous aurons lancé le multi-espaces et lorsque nous aurons réussi à faire péter nos serveurs faute (ou “grâce à”, question de point de vue) un afflux massif d’utilisateurs au sein d’un même espace
Ebbe nous a rappelé la non-ingérence en ce qui concerne les transactions user-to-user : Linden Lab prélève 0% de commission sur les ventes, et seulement 5% lorsque celles-ci sont effectuées sur le marketplace. A noter que Sansar conservera son système de monnaie virtuelle, et accessoirement que Ebbe est un grand fan de Bitcoin.
Enfin, Linden Lab prévoit également de mettre en place des systèmes d’abonnements premium, valables pour les créateurs de contenus mais également pour les utilisateurs consommateurs de contenus exclusifs mis en ligne par les créateurs — eux-mêmes auront la main sur leurs systèmes d’abonnements. Damn, encore une similitude avec la Belool’ !
It's true: #ProjectSansar is the codename/project name of our new virtual experience platform. Final name to be revealed in the future. #VR
— Linden Lab (@LindenLab) May 5, 2015
Quid de la migration de la base d’utilisateurs de Second Life vers Sansar?
Linden Lab mise encore une fois sur les utilisateurs pour assurer la migration de son énorme base d’utilisateurs de Second Life vers Sansar, en “optimisant les outils mis à disposition des utilisateurs pour qu’ils puissent avoir un meilleur reach de leur audience”. L’idée est qu’une petite proportion de power users drivera la masse vers Sansar. Ebbe est pragmatique et est conscient que certains irréductibles resteront sur Second Life et refuseront de migrer, mais c’est également la rançon du succès lorsque votre plateforme a été dans les circuits depuis une douzaine d’années. A noter que des tests utilisateurs sont déjà en cours — probablement réservés aux plus fidèles utilisateurs de Second Life.
Sansar sera multi-device
Et mince, encore un point commun avec Beloola. Sansar sera disponible sur desktop et sur casques de réalité virtuelle, et prévoit de déployer sa version mobile également. L’idée derrière tout ça est celle que nous partageons également chez Beloola : la Réalité Virtuelle ne sera mainstream plus rapidement que si nous pouvons accompagner dès aujourd’hui les utilisateurs dans leur transition vers le métavers. Les grands gagnants de la VR seront les acteurs ayant su démocratiser leur produit les premiers, à savoir ceux qui auront pu offrir une première expérience utilisateur aux non-détenteurs de casques VR — lesquels ne seront pas disponibles au grand public avant l’horizon 2016–2017. “The VR market’s gonna take years, that’s why we are not going 100% VR. Scale outside VR before scale VR”.
Beloola, concurrent de Sansar ou pas ?
La question peut naturellement se poser compte-tenu des nombreuses similitudes en termes de vision et de stratégie produit. Nous sommes sortis de la conférence avec l’information suivante : Sansar sera disponible auprès du grand public fin 2016 et la monétisation de la plateforme débutera début 2017. Ce qui laisserait donc 1 an à Beloola pour faire son trou avant de devoir faire face à l’ogre de Linden Lab — Ebbe a volontiers reconnu le “unfair advantage because of Second Life” (l’avantage injuste dû au passif de Second Life). Hé oui, Linden Lab peut capitaliser sur son énorme base d’utilisateurs de Second Life pour assurer sa transition vers la social VR.
Deuxième énorme avantage de Sansar : l’excellent chiffre d’affaires et la rentabilité de Second Life. Linden Lab n’a en effet aucunement besoin de lever des fonds dans l’immédiat et autofinance son projet Sansar grâce aux revenus de Second Life. La seule manière dont Ebbe envisage de lever des fonds est pour une éventuelle accélération d’acquisition utilisateurs une fois Sansar lancé sur le marché.
On crevait d’envie de lui faire une démo de Beloola…
…et on a réussi à le choper après la conférence En réalité Ebbe est très disponible et même souhaitait d’emblée rencontrer quelques startups de Boost VC. Première (excellente :D) surprise : Ebbe Altberg connaissait déjà Beloola et avait été jeter un oeil à notre plateforme quelques jours auparavant. Nous ne l’avions pas détecté car il avait testé la plateforme en utilisateur anonyme et n’avait pas créé de compte. Beloola, still under the radar? 😉
Nous nous sommes donc entretenus une vingtaine de minutes avec lui. Principal point de désaccord : la technologie WebGL. Chez Sansar, tout sera fait en Unity, notamment pour des raisons d’exigences de rendu graphique. Ebbe comprend très bien notre stratégie “Web VR” (ou”http:// VR” comme l’a brillamment souligné Tim Draper lors des Mentor Days — teasing sur mon prochain article) et donc notre volonté d’accessibilité maximale, mais persiste et signe sur son refus d’explorer la technologie WebGL en l’état. Ce qui en fait nous conforte : Beloola n’est pas un concurrent direct de Sansar, mais potentiellement un service complémentaire. Pour résumer Beloola s’inscrit dans l’instantanéité, Sansar dans la construction d’univers virtuels à long-terme. On pourrait faire l’analogie avec Marketing Evenementiel vs Positionnement de Marque, Boutique éphémère vs Boutique permanente. Bref, on va sûrement revoir Ebbe, et on a hâte !